Les lamelles de Dodone et l’état actuel de l’édition
Depuis les premières fouilles en 1873-75, l’oracle de Dodone en Épire a livré des milliers d’inscriptions sur des lamelles de plomb, qui ne sont rien d’autre que les questions authentiques posées par les consultants à Zeus Naios entre le VIe et le IIe siècle av. J.-C. Pendant longtemps, les textes de Dodone ont été le parent pauvre de la divination grecque. Tristement considérés par le seul éditeur qui ait tenté une approche d’ensemble, Herbert W. Parke (1967), comme un sous-produit culturel et religieux, elles sont restées dans l’ombre étincelante de Delphes et sa tradition littéraire, qui attiraient tous les regards. Les choses ont changé quand Éric Lhôte a réédité, selon les normes épigraphiques les plus exigeantes, toutes les lamelles éditées en date de 2006, auxquelles Esther Eidinow a ajouté en 2007 une vingtaine de nouveaux textes que lui avait confiés feu A.-Ph. Christidis, le dernier éditeur principal de la collection. L’édition des textes de Dodone a tellement traîné qu’en 2013 seuls 191 textes avaient été publiés.
L’étude générale, confiée à I. Vokotopoulou (†1995), S. Dakaris (†1996) et A.-Ph. Christidis (†2004), voit finalement le jour à titre posthume en 2013 (= DVC 2013), grâce aux bons soins de S. Tselikas. Elle présente une collection de 4216 textes, -presque tous inédits,- en provenance des fouilles de D. Evangelidis (1928-32 & 1952-59) et conservés au Musée de Ioannina. C’est une publication qu’on n’espérait plus, d’autant que les lamelles de plomb semblaient avoir été, depuis leur découverte, conservées dans des conditions difficiles. Cette édition ne met pas pour autant un terme à la saga des lamelles de Dodone, puisque bien d’autres inscriptions demeurent en attente dans les musées, notamment tous les textes découverts lors des fouilles des successeurs d’Evangelidis, entre autres S. Dakaris (on parle, semble-t-il, d’environ 3000 lamelles), ainsi qu’une centaine de lamelles qui, à la suite d’un vol, sont assez bizarrement parvenues au Musée antique de Berlin en 1905: l’Altes Museumles a récemment restaurées, et leur publication est aujourd’hui menée sous la direction de Peter Funke, plus particulièrement par Katharina Knäpper de Münster. Des analyses isotopiques encore inédites sont en passe, semble-t-il, de révéler l’origine du plomb utilisé.
Le constat d’un manque et le besoin d’une édition revue et dynamique
Tous les antiquistes conviennent de l’importance de cette édition qui met enfin à la disposition de la communauté scientifique une quantité à peine croyable de nouveaux documents épigraphiques, lesquels jettent une lumière extraordinaire sur la conception pratique de la divination en Grèce, et par voie de conséquence sur sa conception théorique. Au plan philologique et linguistique, une telle moisson de nouveaux textes, en provenance de classes sociales qui échappent, en partie, aux élites, va livrer quantité d’enseignements sur la dialectologie ou l’histoire des alphabets, par exemple, et sur la longue durée.
Beaucoup reste à faire toutefois pour parvenir à une édition plus critique et plus systématique : force est de constater, chez DVC, bien des restitutions abusives, la possibilité souvent de lectures alternatives, la datation par trop incertaine et basée sur des critères non spécifiés, l’interprétation parfois superficielle et l’absence de toute traduction. La difficulté de lecture est notoire, de par l’emploi de différents dialectes et styles graphiques, la présence de nombreuses fautes de grammaire et de syntaxe, par des licences de style, la nature fragmentaire de la plupart des inscriptions due au pliage et à la réutilisation des supports (palimpsestes), et plus encore à la corrosion due aux mauvaises conditions de conservation des lamelles, depuis presque un siècle.